Un courrier de lecteur nous fournit cette semaine l’occasion de réfléchir sur ce que l’application, même partielle mais généreuse et bienveillante, du Motu Proprio Summorum Pontificum peut apporter à nos paroisses. I – LE TÉMOIGNAGE DE NOTRE LECTRICE
Chère équipe de Paix liturgique, Habitant dans une ville où a été installée une paroisse personnelle pour les fidèles liés à la forme extraordinaire du rite romain, je bénéficie grâce à notre bien-aimé Pape (et à mon évêque, cela va mieux en le disant) des meilleures conditions pour vivre ma foi catholique au rythme d’une liturgie digne, christocentrée et immuable. Je suis consciente de bénéficier d’une situation privilégiée et ai toujours quelque angoisse à la veille de me déplacer, ne sachant à quoi m’attendre le dimanche à la messe loin de ma paroisse. Aussi ai-je été très favorablement surprise le jour de l’Épiphanie en assistant à la messe à Senlis, alors que j’étais de passage chez des amis et c’est de cette expérience dont je souhaite vous faire part. D’ordinaire, lorsque je me déplace, j’essaie de trouver la messe Summorum Pontificum la plus accessible en fonction de mes obligations et des moyens de transport à ma disposition mais, comme vous le savez mieux que moi, la forme extraordinaire du rite romain est encore inaccessible dans plusieurs régions, " tous les dimanches et à horaire familial " selon votre expression. J’avais vu, avant de me rendre dans l’Oise, que les messes les plus proches de Senlis étaient celles de Compiègne et de Belloy-en-France mais ne savais pas si mes amis accepteraient de m’y accompagner (je n’ai pas le permis de conduire). Je vous passe les détails mais j'ai dû finalement me plier aux habitudes de mes amis qui sont paroissiens de la cathédrale où ils vont à la messe du soir. Ils m’avaient assuré : " Tu vas voir, on a un bon curé " et j’avais souri en me mordant la langue pour éviter de leur dire que ce n’était pas le curé qui m’intéressait mais la messe ! Et je dois dire que j’ai bien fait de me taire car si je vous écris aujourd’hui c’est bien grâce au curé de Senlis. En effet, en entrant dans la cathédrale, j’ai eu la surprise de découvrir un arrangement d’autel tout ce qu’il y a de plus traditionnel et, avant la célébration, le curé a prononcé quelques mots pour expliquer qu’il allait célébrer la forme extraordinaire du rite romain " permise par notre pape Benoît XVI ". Et mon amie de me glisser à l’oreille : " Je te promets que je n'en savais rien. " Rendant grâce à l’Enfant-Jésus pour cette belle surprise, j’ai donc suivi la messe avec ferveur et curiosité, notant bien ici et là quelques incongruités – surtout au moment de la communion, les fidèles communiant comme à la forme ordinaire, debout, dans la main, etc. – mais appréciant l’application du célébrant, le recueillement de l’assemblée et la contribution de la chorale. Après la messe, j’ai profité d’amis de mes amis pour satisfaire ma curiosité et apprendre que cela fait près de deux ans que le curé de Senlis, en alternance avec celui de Chantilly (du moins au début), célèbre tous les deux ou trois mois la forme extraordinaire à la demande d’un groupe de fidèles. Surtout, m’ont appris ces amis d’amis qui, eux, font partie de ce groupe, depuis qu’une chorale grégorienne s’est mise en place sur la paroisse grâce à cette ouverture à la liturgie traditionnelle, le curé a accepté le principe de célébrer la forme extraordinaire de préférence les dimanches de fête, à l’heure de la messe du soir. Ce qui explique cette messe de l’Épiphanie. Voici tout ce que je souhaitais vous communiquer car je pense qu’il y a là matière à réflexion : vous mettez souvent en relief ce qui cloche dans nos diocèses et vous faites bien mais il y a aussi des expériences positives, en parfaite communion avec le Saint-Père et sa volonté de réhabilitation de la liturgie. (J. S.)
II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
1) De la célébration de la forme extraordinaire à Chantilly et Senlis, nous étions vaguement au courant mais sans plus, vu que celle-ci était irrégulière et semblait devoir le rester. Nous remercions donc notre lectrice pour cette première information. Nous avons contacté la paroisse Saint-Rieul qui nous a précisé que les prochaines messes dans la forme extraordinaire à Senlis auront lieu les dimanches 3 mars et 2 juin, à 18 heures, comme indiqué sur son site. Selon nos informations, le curé aurait décidé, dans la mesure du possible et par souci pédagogique, d’offrir les bienfaits du Motu Proprio à ses paroissiens lorsque le calendrier nouveau et le calendrier traditionnel concordent, comme ce fut le cas pour l’Épiphanie.
2) Du témoignage de notre lectrice, des échanges que nous avons eus avec elle pour préciser certains points de son courrier, et des renseignements complémentaires que nous avons recueillis, il ressort la nette volonté du curé de mettre ses pas dans ceux du Pape ou, plus justement, d’agir selon le cœur de Benoît XVI : avec conviction mais aussi patience et bonté. Si la communion est encore donnée comme elle se donne dans la forme ordinaire, c’est parce que 90 % des fidèles sont des paroissiens habituels dont une grande partie – comme les amis de notre lectrice – découvrent au dernier moment que la messe est célébrée selon la forme extraordinaire du rite romain. On est tout simplement en présence de fidèles qui vont à la messe du soir de leur curé dans leur paroisse et qui, tous les deux ou trois mois, se rappellent que celui-ci a décidé d’appliquer le Motu Proprio de Benoît XVI.
Dans le " Projet liturgique paroissial " pour 2012-2014, le curé de Senlis explique bien sa démarche : " Cette forme dite aujourd’hui ‘extraordinaire’, n’a jamais été abrogée et continue à être célébrée ici ou là. Notre Pape nous encourage à la découvrir ou à la redécouvrir et à honorer, autant que possible, les demandes des 'groupes stables' de fidèles qui aiment cette liturgie. Cela se fait chez nous en bonne intelligence, certes modestement, humblement et paisiblement, grâce à la bonne volonté des uns et des autres, aux encouragements mutuels, et en tenant compte de la disponibilité des prêtres pour se former et officier. Nous voulons poursuivre en ce sens en partageant la conviction de Benoît XVI que les deux formes de l’unique rite romain peuvent s’enrichir mutuellement. " Que dire de mieux ?
3) Nous sommes souvent réservés devant les applications injustes, partielles et partiales du Motu Proprio. Certains lecteurs s’étonneront alors de nous voir saluer une application qui n’est que bi ou trimestrielle. Tout tient en fait à l’intention du curé : s’il accorde un peu en affichant le désir de satisfaire progressivement ses paroissiens, c’est bien ; mais s’il n’accorde un peu que dans l'idée de voir le groupe de demandeurs se décourager, c’est totalement différent. Ici, il est clair que ce curé fait avancer les choses : d’abord il disait la messe traditionnelle certains dimanches, puis il commence à la dire lors des dimanches où les calendriers coïncident. Remarquons au passage que la « pédagogie » des curés qui « y vont doucement » vise tout autant leurs autorités diocésaines que leurs paroissiens : il importe donc d’aider ces curés progressants, à bien distinguer des curés régressifs ou restrictifs. Comment faire la part des choses ? À l'épreuve des faits bien entendu, mais aussi en voyant si le curé impose le secret à ses ouailles (mauvais signe) ou accepte en revanche de donner une large publicité à sa démarche (attitude encourageante).
À Senlis, comme les lignes ci-dessus le laissent deviner et comme le confirment les témoignages que nous avons recueillis, cette application partielle se fait pour agir progressivement, " en esprit de vérité et de charité " : pas de brimades infligées aux demandeurs, pas de dispositions liturgiques aberrantes, pas de chantage à l’obéissance et au silence. Au contraire, la naissance d’une chorale grégorienne (avec la participation ponctuelle de fidèles de la Fraternité Saint-Pie X de Compiègne !) – qui chante, de fait, plus souvent la forme ordinaire qu’extraordinaire – a facilité l’acceptation de la demande par les paroissiens non demandeurs. Selon nos échos, à Senlis, tout le monde vit cette introduction " modeste, humble et paisible " de la liturgie traditionnelle comme un enrichissement. Nous ne pouvons que nous en réjouir et inviter le curé et ses équipes, demandeurs compris, à en faire un peu plus. Par exemple en ouvrant une réflexion sur la communion : s’agissant d’enrichissement, l’invitation à communier à genoux sur la langue pourrait être conseillée lors de la messe en forme ordinaire. Ce qui pourrait passer par la réintroduction de l’usage du banc, si ce n’est du rail, de communion, à l'image de ce que fait le Saint-Père dans ses propres messes.
4) Nos sondages nationaux sur la réception du Motu Proprio font apparaître, de façon constante, qu’au moins 34 % des pratiquants assisteraient à la forme extraordinaire au moins une fois par mois si celle-ci était célébrée DANS LEUR PAROISSE. Dans le diocèse de Pontoise, voisin de celui de Beauvais auquel appartient la paroisse de Senlis, ce chiffre grimpe jusqu’à 62 % (voir notre lettre 361). Il y avait plus de 150 fidèles à Senlis le soir de l’Épiphanie : quasiment tous les paroissiens habituels, ne voyant à l'évidence aucun inconvénient au fait que ce soir-là se célébrait la liturgie traditionnelle. Aucun n’a quitté la célébration. Plusieurs ont remercié voire félicité par la suite le curé et les membres de la chorale ou du groupe de demandeurs. Voilà la réalité du projet de réforme liturgique voulu par Benoît XVI. Ceux de nos évêques qui continuent d’ignorer les résultats de nos sondages et d’affirmer que le Motu Proprio ne les concerne pas feraient bien d’aller faire un tour à Senlis.
5) En fait, à Senlis, cette interprétation modérée de Summorum Pontificum dépasse la lettre du Motu Proprio sous un certain aspect, puisque ce n’est pas seulement au « groupe stable de fidèles attachés à la tradition liturgique antérieure » que le curé propose la Messe selon le rite du Missel romain édité en 1962, mais à tous les fidèles qui viennent à la messe du soir. Mais d’autre part, ce n’est pas encore la pleine application du Motu Proprio : on peut penser que le curé souhaite parvenir en douceur à célébrer tous les dimanches cette messe en forme extraordinaire, et on doit l’y aider. Il est d’ailleurs plus que probable que le nombre global des assistants sera plus important.
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